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Quand le malade ignore sa maladie : gros plan sur l’anosognosie

Crée le : · Mis à jour le : 06/06/2024 17:24:06 · Temps de lecture :
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Définition, explications, conseils…

Moi, malade ? Mais pas du tout ! De nombreux aidants ont déjà entendu ces mots de déni dans la bouche de leur proche, surtout s’il est atteint d’une maladie d’Alzheimer ou apparentée ou qu’il a été victime d’un AVC. Il s’agit d’anosognosie, une conséquence très fréquente de la maladie, mais pourtant peu connue. A quoi est-elle due ? Quels sont ses impacts et comment y faire face ? Explications.

Identifiée en 1914 par le neurologue français Joseph Babinski, l’anosognosie est définie comme un « trouble neurologique caractérisé par la méconnaissance par le malade de la maladie dont il est atteint » (du grec -a-, « sans » ; nosos, « maladie » ; gnosis, « connaissance »).

En clair, le patient n’est pas conscient de sa maladie, de ses difficultés. Il peut aussi en avoir une conscience amoindrie, il les minimise en somme.

Il niera avoir été informé de sa maladie, et, s’il se rappelle en avoir été informé, il affirmera de manière catégorique que les médecins se trompent. Il pourra aussi donner des explications farfelues à ses troubles, ou pour justifier un rendez-vous médical.

Les différentes formes d’anosognosie

Ce trouble peut être plus ou moins sévère, et prendre plusieurs formes.

Un malade atteint d’une anosognosie légère ou modérée, par exemple, acceptera de reconnaître sa maladie si on lui en parle ou qu’on lui présente des preuves de son existence, comme un compte rendu d’examen.

En cas d’anosognosie sévère en revanche, le malade ne l’admettra jamais.

D’autres malades admettent certaines déficiences, mais pas toutes : ils acceptent par exemple de dire qu’ils n’arrivent pas à se repérer dans l’espace, mais qu’ils n’ont aucun problème avec le temps, même s’ils en ont perdu la notion.

Le neurologue Christian Derouesné distingue trois types d'anosognosie :

  • l'anosognosie mnésique : la différence entre la performance et l'état de la mémoire est perçue, mais non encodée en mémoire sémantique. Le sujet reconnaît l'erreur mais n'en tire pas de conclusion sur le fonctionnement de sa mémoire, du fait de l'absence de mise à jour de la base de données.
  • l'anosognosie exécutive : la performance altérée est perçue mais n'est pas signalée comme erreur, ce qui pourrait également être un mécanisme de fabulations.
  • l'anosognosie primaire : l'erreur n'est pas perçue comme telle. Dans ce type, la méconnaissance porte également sur d'autres déficits et la maladie. Le sujet exprime seulement les difficultés qu'il ressentait avant sa maladie.

Les causes de l’anosognosie

Même si leur manifestation est similaire, l’anosognosie est différente du déni : celui-ci est un mécanisme psychologique, quand l’anosognosie résulte de lésions cérébrales.

Ce qui explique qu’elle soit si fréquente dans la maladie d’Alzheimer. Les neurologues estiment ainsi que 8 malades diagnostiqués sur 10 souffrent d’un type d’anosognosie.

Mais les troubles anosognosiques peuvent survenir dès qu’il y a une atteinte du système nerveux central, qui peut être due à un traumatisme crânien, un accident vasculaire cérébral, une tumeur cérébrale, une maladie neurodégénérative comme la maladie d’Huntington, le syndrome de Korsakoff ou d’autres troubles cognitifs.

Ainsi, l’incidence de l’anosognosie serait comprise entre 10 et 18 % chez les personnes ayant subi un AVC, et atteindrait 60 % chez celles qui présentent des troubles cognitifs légers.

Selon sa cause, elle peut ou non se résorber. Après un AVC par exemple, elle peut s’atténuer dans un délai de trois à six mois. Après un traumatisme crânien, le délai moyen est supérieur à un an. En revanche, elle persiste en cas de maladie neurodégénérative.

Anosognosie et épuisement de l’aidant

Le fait que le malade nie sa maladie ou les difficultés qu’elle entraîne peut avoir des conséquences très négatives.

D’abord, il risque de refuser son traitement, puisqu’il estime ne pas en avoir besoin.

Ensuite, les mesures mises en places pour faciliter le quotidien risquent aussi de donner lieu à un rejet, comme la présence d’une aide à domicile ou la gestion des comptes par l’aidant. De même, les proches pourront se heurter à un refus d’arrêter de conduire.

Inconscients de leurs difficultés, les personnes anosognosiques sont aussi plus à risque de chute, de se mettre en danger.

L’anosognosie peut donc être source de conflits et de difficultés de prise en charge : de quoi rajouter au fardeau de l’aidant.

Conseils face à l’anosognosie

Avant toute chose, il est essentiel que l’entourage en ait conscience. Si besoin, il peut être utile d’en parler avec le médecin traitant de la personne malade, qui pourra la diagnostiquer ou orienter vers un spécialiste.

Il est également primordial de comprendre que le malade ne ment pas, qu’il ne fait pas preuve de mauvaise volonté : en cas d’anosognosie sévère, ses proches auront beau lui répéter qu’il a des difficultés, essayer de lui en fournir la preuve, il sera impossible pour lui d’en prendre conscience.

Au contraire, essayer de convaincre la personne malade risque de conduire au conflit.

En revanche, si l’anosognosie est légère, le malade fait parfois preuve de lucidité quant à ses troubles : un levier pour mieux lui faire accepter aides et traitements.

Le psychiatre Xavier Amador préconise pour sa part d’écouter la personne, y compris ses perceptions erronées, plutôt que de chercher à lui faire entendre raison. Il s’agit de restaurer le dialogue pour arriver à une forme d’alliance, pour trouver ensemble des raisons d’accepter l’aide proposée ou les traitements.

Son approche repose sur quatre E :

Ecoute réflexive, ou écoute active, qui vise à comprendre le point de vue du malade, sans commenter ou donner son point de vue.

Empathie, qui permet au malade de se sentir écouté, respecté et donc de se sentir en confiance.

Entente : il s’agit de trouver un terrain d’entente, d’identifier les points sur lesquels le malade et l’aidant sont d’accord.

Engagement : le malade et son aidant (proche ou professionnel) planifient leur plan de collaboration pour atteindre les objectifs fixés ensemble. Par exemple, accepter d’être aidé pour les repas à condition que la personne malade reste décisionnaire des menus.

Bon à savoir :
Pour une relation apaisée, il faudra sans doute prioriser ses attentes, mettre de côté certaines exigences pour se concentrer sur ce qui est vraiment nécessaire, dans le but d’améliorer la qualité de vie de l’aidant comme de l’aidé.


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